jeudi 22 octobre 2020

Délices basques

 Alors que le monde n’a jamais semblé tourner aussi mal, étouffant, interdit et masqué, une

femme le rend beau à chaque fois qu’elle le traverse. Sa simple présence renvoie tous les

maux aux abonnés absents.


Vendredi, fin d’après-midi, elle est à portée d’ailes et moi à deux heures d’elle, à peine. Deux

nouvelles semaines se sont écoulées entre ces fenêtres vitales qui s’ouvrent sur la seule vie

qui vaille, celle de nos retrouvailles.


La distance n’est pas facile, elle ronge par le manque et sublime par l’envie. Ou le contraire.

On se demande parfois si elle protège ou si elle abîme, mais rien n’entame la confiance

absolue en l’autre et entre ce qui nous lie. On sait que l’amour exceptionnel et évident n’a

rien à craindre. Cet amour-là résiste à tout.


L’avion est maintenant au-dessus des nuages, le spectacle est grandiose, la lumière divine.





C’est comme si on laissait la pandémie, les épines du divorce et les difficultés du boulot sous

cette épaisse couche de coton et qu’on fonçait vers une planète où les rayons inonderaient

l’horizon de leur sérénité. Le spectacle des Pyrénées déchirant les nuages pour s’élever dans

cette pureté baignée de soleil est magique. Le ton est donné. Atterrissage. C’est maintenant

qu’on va vraiment décoller.




Son manteau blanc, ses cheveux délicieusement noirs, ses yeux à la couleur unique, son

sourire qui guérit de tout et cette étreinte. Toujours la même. Puissance incomparable.

Tout s’allume. Tout s’ouvre. Tout se complète. Le monde sait qu’il peut tourner avec plaisir.

Le parking, bas les masques, les bouches s’épousent, un contrat nous serait présenté mille

fois, on le signerait mille fois.


On arrive chez elle. Par respect pour notre intimité je ne raconterai pas la magie des corps

qui s’aiment follement et je passerai directement à la tartiflette. Faite maison, table parfaite,

bougies, verre de vin rouge léger, fruité, salade croquante, puis on s’offre nos petits cadeaux

achetés en s’attendant. Elle adore. J’adore. Franchement, si on nous disait qu’on avait école

demain et un grand Casimir dans la chambre on le croirait. Des gamins sous le sapin.


L’insouciance est complice, le dos ne fait plus souffrir, le ventre ne fait que palpiter de sa

faim de l’autre, le bonheur est un formidable soin relaxant gommant.


Samedi, viennoiseries, thé, jus de fruit, de l’amour partout, déjà une belle journée.


Nous partons pour Saint-Jean-de-Luz. Le week-end sera basque. Et inoubliable.


Je conduis sa voiture, la main sur sa cuisse, la sienne dans mes cheveux ou sur ma nuque, ou

elle me tient l’avant-bras à deux mains, bonheur. La ville est beaucoup plus calme que lors

de notre dernière visite en septembre, moins de monde, il fait beau, doux, 18 degrés. Nous

allons déjeuner dans un restaurant réputé du coin, le Brouillarta. Cadeau de mon amour.





Table face à la mer, tout est à tomber. Nous prenons du poisson, bar pour elle merlu pour

moi. Une entrée incroyable, des amuse-bouche qui font bien plus que les amuser, et un

soufflé à la mangue qui porte l’estocade finale à l’extatique repas.







Marcher sur la plage, dessiner les prénoms des enfants dans le sable, s’embrasser au son de

l’océan. Je le regarde et c’est une goutte d’eau par rapport au mien. Au nôtre.


On vibre pour les mêmes images, les mêmes couleurs, on prend le temps des maisons, des

teintes des volets, des matières, des silences, de l’histoire, des détails. À chaque fois qu’on

se reprend la main, c’est comme une renaissance, un plaisir cent fois renouvelé, des ados on

vous dit. Mais tellement forts d’avoir vécu.


Shopping. Elle ne voudra jamais que je le dise mais c’est une dingue de mode et elle sait

exactement, à la seconde où elle voit la fringue, ce qui a la classe ou pas. Même si c’est 

totalement barré a priori, hyper vintage, classique ou déjanté, les fringues lui parlent et elle,

elle les comprend. Elle parle leur langue. 


Je bois donc religieusement ses conseils. Elle a le don de sublimer tout ce qu’elle choisit. On se fait 

plaisir.  On se met des limites. Sinon on chanterait dans le métro. Ou en visio.


Fin d’après-midi, départ pour Biarritz. 


La femme de ma vie a réservé un petit appartement parfaitement situé, à une rue de la mer. En fait la mer 

est au bout de la rue si on se pose sur le petit balcon et qu’on regarde à droite. C’est bientôt l’heure du 

coucher de soleil.


On descend la rue Mazagran, puis la rue du Port-Vieux, et voilà le ciel orange et rose, il est en feu, 

extraordinairement beau. 





Dîner dans un petit restaurant, le Tandem, douceur du soir. Par respect pour notre intimité je ne raconterai 

pas la magie des corps qui s’aiment follement tout au long de la journée et je passerai directement au 

dimanche.





Dimanche. Départ pour San Sebastian. Espagne. Je n’étais pas allé en Espagne depuis longtemps. C’est 

toujours sidérant de voir qu’une simple frontière sépare deux atmosphères tellement différentes. On passe 

une ligne et on change de langue, de panneaux, d’architecture. C’est formidablement dépaysant.


Montée de Santa Teresa qui nous emmène sur le belvédère à la vue impressionnante sur la ville. 




Descente en douceur, notre table est prête, encore un choix parfait de mon amour.


Atari, calle Mayor. N’hésitez jamais. Rien que pour les brochettes de crevettes et l’œuf poché. Et les 

croquettes ibériques.





Playa de la Concha. La sensation incomparable des pieds dans le sable, puis dans l’eau. Elle doit être à 15 

degrés. Certains se baignent. Ils doivent être bretons. Ce week-end a un goût de vacances. On se promène 

dans les rues de Saint Sébastien, ça sonne quand même mieux en espagnol, le long de l’océan, on profite, 

on suspend le temps, à nos rêves, à nos lèvres.


Retour en France. Guéthary. 


Superbe petit village basque aux maisons somptueuses. Dis Père Noël, si tu veux m’offrir une retraite 

dorée ici moi je veux bien. Ma chérie a bien connu ce coin, dans une autre vie. Ces douleurs au cœur que 

ne pourront jamais comprendre ceux pour qui tout se passe comme ils veulent. Une minorité donc. 




Aimer l’autre c’est tout respecter de l’autre. S’aimer à ce point c’est tout comprendre. Prendre toute la 

place qu’il faut, laisser toute la place qu’il faut, composer une harmonie avec une justesse très spéciale.

Et quand la justesse de l’un répond à la justesse de l’autre, il n’y a plus aucune question possible. C’est 

comme un livre qui s’écrit tout seul. Sans une faute. D’orthographe ou de goût.


Dimanche soir, coucher de soleil biarrot épisode 2, toujours aussi coloré, toujours aussi beau.





Dîner face à la mer, on était en terrasse mais le vent de plus en plus frais nous invite à dîner à l’intérieur. 

Le carnivore que je suis, pourtant très ouvert aux choix sains de sa chérie, craque pour 

une entrecôte à tomber. Cuisson, qualité, tout est parfait. Dessert. Planteur maison.


On discute ardemment d’un sujet sur lequel nous ne sommes pas d’accord, ceux qui l’ouvrent et ceux qui 

la ferment quand quelqu’un ou quelque chose fâche, des arguments sont recevables des deux côtés, on a 

un tel respect pour l’esprit de l’autre et sa qualité de pensée, en toute humilité, qu’on se respecte autant 

qu’on s’aime. Je sais que j'apprends d'elle, la seule qui puisse insérer des regards nouveaux entre mes 

certitudes.


Retour appart, claqués par une bonne journée de voyage et de balades, mais heureux…


Lundi matin. Il fait encore beau, encore doux. Dernier jour. J’avais pris mon lundi. C’est quand même 

beaucoup mieux un week-end de trois jours, un jour il faudra y penser plutôt que de masquer ou de 

confiner. Prenez de vraies mesures les gens du pouvoir !


Petit-déjeuner gourmand. Pain aux raisins perles de sucre, pains au chocolat (d’accord chocolatines pour 

ceux qui veulent, c’est bien parce qu’on est à Biarritz…), la douche déborde mais moins que le salon, le 

désir est partout. Par respect pour notre intimité je ne raconterai pas la magie des corps qui s’aiment 

follement tout au long de cette délicieuse matinée et je passerai directement au déjeuner.


Départ pour Bayonne. Je ne m’attendais pas à cette architecture. Je la voyais plus grande cette ville, 

moins charmante. Ses volets colorés me rappellent le vieux Nice, un petit côté italien, espagnol, latin. Sur 

les bords de la Nive, un restaurant qui va nous ravir le palais, encore plus que tous les autres. 





Le Bistrot Itsaski est aussi raffiné dans sa déco que dans son assiette. Mais quel festival de saveurs et de 

plaisirs ! Un duo de gambas – noix de Saint Jacques à tomber, inoubliable !








Promenade dans Bayonne, une cathédrale avec des vitraux d’origine, ce bleu si intense que l'on ne semble 

plus savoir créer, comme si l'époque en manquait cruellement. L'endroit est somptueux et l'amour est 

partout, puisque Dieu est Amour, c'est le moment de lui dire merci.




Après un improbable disquaire qui propose du thé pour les amoureuses qui profitent du moment pendant 

que les amoureux chinent de la pépite -je n'ai jamais autant aimé chiner depuis que la myrtille est reine- 

nous rentrons vers l'appartement de ma femme chérie, à une heure de route.


Nous retrouvons cette chambre dans laquelle nous avions entendu le tonnerre tôt le matin, c'est la fin de 

l'après-midi, il faudra être à l'aéroport à 19h30, partir à 19h. Par respect pour notre intimité je ne 

raconterai pas la magie des corps qui s’aiment follement avant de se dire au revoir et je passerai 

directement au moment où j'enlève ma ceinture, à l'aéroport, pour passer le portique.


Voilà, c'est fini, encore un week-end de rêve, un de plus, à marquer d'une pierre blanche, et d'un cœur  

blueberry dans le livre de nos vies. J'aime cette femme comme on aime de la plus belle des façons, 

naturellement, puissamment, généreusement, sans filtre et sans frein, sincèrement et abondamment.


Nous étions prisonniers de ces vies qui ne nous allaient plus, de nos larmes qui coulaient en silence, et les 

barbelés sont devenus des oiseaux de liberté à la seconde où nous nous sommes rencontrés.




Franck Pelé